Obsessions graphiques

 Traces

On t’avait donné un livre de coloriage. Tu t’appliquais à ne pas dépasser, à retrouver la même couleur que le modèle, mais à chaque fois tu étais déçue, tu n’arrivais jamais à rendre l’aspect lisse et brillant de l’impression, tu voyais toujours les traces du pinceau. Tu ne pouvais pas le supporter. Tu avais essayé avec les crayons de couleur, en frottant avec un buvard on pouvait arriver à effacer les traits, pourtant ce n’était pas encore ça, la couleur était vraiment trop pâle et terne. Rageusement, tu jetais le livre. Une fois même tu avais déchiré la page et l’avais mise en miettes.

Lisse

Ca avance. Il y a trois heures, tu as commencé dans le coin du bas, à gauche. Tu cherches dans un des nombreux cartons à chaussures dans lesquels tu gardes les moindres morceaux de papier que tu as imprimés auparavant pour d’autres collages et que tu ne ne te décides pas à jeter. Tu sais exactement où trouver celui qu’il te faut maintenant, tu as besoin de cette forme, de cette couleur, tu as décidé de te cantonner aux camaïeux de verts. La colle de photographe te permet de changer d’avis, de déplacer les papiers pour qu’il n’y ait aucun espace vide, pour que les chevauchements soient imperceptibles. Seuls les détails d’impression te guident, pour l’instant l’ensemble t’importe peu. Quand toute la feuille est remplie, tu es épuisée mais ce n’est pas encore terminé, tu choisis un passe-partout qui convient, tu mets le collage sous verre. Ta seule préoccupation, on ne doit pas voir que c’est un collage : tout doit être le plus lisse posible.

Miroir

Dans une galerie, choc devant une série de dessins à la plume. C’est exactement ce que tu cherches à obtenir ! Même univers, même technique, tu as trouvé ton double … Vous vous rencontrez, tu lui dis ton émotion.

Depuis, vous vous voyez souvent, il te conseille, te montre ses petites trouvailles pour obtenir certains effets.

De ton côté, tu t’essayes à l’eau-forte, l’aquatinte, le burin. Au premier tirage, tu es complètement désarçonnée, la pensée que le dessin serait inversé ne t’a jamais effleurée. Il te paraît vraiment bancal. A partir de maintenant tu dessineras en miroir, tu ne veux plus être prise au dépourvu.

Tu lui parles de la gravure, tu essayes de le persuader que cette technique est fait pour lui. Il n’est pas convaincu, il a encore tant de choses à découvrir avec la plume.

Rythme

Tu te laisses porter par le geste de la main, par le son de la plume grattant sur le papier. Plume préparée tordue, assouplie de manière à garder toujours la même épaisseur de trait. Tu as répertorié toutes les possibilités de croisements pour obtenir les effets voulus de volume, les nuances de gris, pour atteindre le noir profond. Un trait en nécessite un autre et le tracé, dépendant du rythme de la plume, devient musique.

Tu y passes des heures et peu à peu, le paysage intérieur se détache de la feuille sans que tu y prennes vraiment garde. Comme si ton œil avait changé d’échelle, tu es fourmi dans une forêt vierge. Monde minéral, enchevêtrement de brindilles, grottes obscures, lumière acide, musique tonitruante, accélérée, murmure lisse et transparent. Ce n’est qu’en sortant de ce long rêve éveillé que tu regardes enfin, étonnée du résultat. Mais seul compte le plaisir de faire. Temps rythmé, pensée libre, vagabonde. A la vue de ces circonvolutions viscérales, certains ressentent un malaise. Comme s’ils avaient sans le vouloir pénétré ton jardin secret.

Fondu, transparence

Tu as envie d’essayer, tu te sens enfin prête. Mais la technique te fait encore peur, chaque geste est irrémédiable, pas question de rattraper une erreur, pas de repentir possible, il va falloir tout prévoir, rien de moins spontané que l’aquarelle. Toi qui te laisses toujours aller à l’imprévu. Pourtant, l’idée de te confronter à un état d’esprit qui t’est complètement étranger te stimule. Fascinée par les transparences de Turner, tu n’aspires qu’à rendre les fondus, tu choisis les couleurs, les papiers, tu prépares de grands pots d’eau claire, tu lèches le gros pinceau pour en affiner la pointe.

Après tant d’années, tu retrouves l’excitation devant la feuille blanche …

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