Garçon ! Deux petits noirs bien serrés !

Alors tu dis qu’elle était là à Noël, c’est bien chez Janie que tu l’a rencontrée ? Si elle ne voulait pas me voir, elle aurait pu au moins me donner un coup de fil, tu crois pas ? C’est vrai, ça doit bien faire sept ans que… Mais aussi, quelle idée d’aller déménager si loin, elle a toujours préféré le nord, c’est ce qu’elle disait, tu comprends ça toi, une pied-noir qui préfère le nord ? Tout de même on a vécu plus de dix ans ensemble, ça compte, tu pourrais rayer dix ans de ta vie, toi ?

Et puis il y a la petite… Tu ne dis rien, vas-y si tu crois que j’exagère, dis-le franchement. Bon d’accord, Manu, elle a beau avoir dix-sept ou dix-huit ans, je ne sais plus, c’est toujours ma petite… elle a vingt ans, tu en es sûr ? Oh tu sais, moi et les dates !

Qu’est-ce que tu bois ? Garçon, deux petits noirs bien serrés. En tous les cas depuis qu’elles ont déménagé, j’ai pas beaucoup de nouvelles, oui tu as raison, Manu elle est assez grande pour écrire si elle en a envie. Au fait tu ne m’as pas dit, tu l’as vue elle aussi chez Janie ? Ah bon, j’aime mieux ça… ça m’aurait étonné aussi… Parce que Manu, elle est fine tu sais, elle voit bien le jeu de sa mère… mais au moins quand elle revient ici, elle prend toujours un moment pour venir embrasser son vieux comme elle dit. Non j’suis pas vexé, dans sa bouche c’est plutôt gentil, tu crois pas ?

Mais dis-moi, elle, comment tu l’as trouvée, en forme ? Qu’est-ce qu’elle fait maintenant, est-ce qu’elle s’est un peu calmée ? Je suppose qu’elle est toujours prête à s’indigner, à se mettre en quatre pour le genre humain, à s’emballer pour toutes les mauvaises causes. Pourquoi mauvaises ? Parce qu’elle est naïve, elle n’a jamais compris que le monde cela ne se change pas si facilement. Oui je sais, mais ne me dis pas comme elle que je suis un vrai égoïste, non tout simplement je suis réaliste. Pourquoi ça te fait rire, il n’y a pas de quoi rire crois-moi.

Mais bon, elle aurait mieux fait de s’occuper un peu plus de sa famille je t’assure, je suis sûr qu’elle t’a raconté que c’était moi qui étais parti le premier, mais c’est faux, elle m’a même laissé au moment où j’avais le plus besoin d’elle, elle n’a jamais rien compris à mes problèmes, disons qu’elle ne faisait rien pour comprendre… D’ailleurs, en grande partie elle y était pour quelque chose si j’allais si mal, toujours des reproches, plus moyen d’être moi-même, elle me trouvait trop… pas assez… enfin tu vois.

Après j’ai réfléchi, je suis sûr qu’elle s’est laissée entraîner par ses copines. Le Club des Frustrées, c’est comme ça que je les appelais ces bonnes femmes, elles ont toutes quitté leur mari à cette époque. Et bien sûr, comme elle a toujours été influençable, elle s’est sentie obligée de suivre l’exemple. Mais si elle avait voulu, ça aurait pu marcher entre nous, crois-moi, les premières années on a même été heureux. Mais ses copines, j’ai vite compris qu’elles n’étaient pas claires, des frustrées j’te dis, toujours à lui monter la tête contre les hommes en général et moi en particulier, à lui faire lire des bouquins, j’te dis pas. Tu te rends compte, elle en était même arrivée à me laisser la gosse tous les week-ends pour assister à des séminaires. Rien que des bonnes femmes. Ses séminaires, elle en avait plein la bouche, d’ailleurs, elle avait complètement changé, je ne pouvais plus rien dire, elle analysait tout, ce que je disais, ce que je faisais, ce que je ne faisais pas, pour me dénigrer évidemment.

Pourtant je t’assure, j’en ai fait des efforts, j’ai essayé d’être à la hauteur tu te rends compte, j’ai même entrepris de les lire ses bouquins, mais vraiment … Bien entendu je pouvais pas comprendre, j’étais trop macho.… Ridicule, la situation devenait vraiment ridicule. Alors pourquoi je me plains ? Mais je me plains pas, je te raconte c’est tout, pour que tu connaisse mon point de vue.

Toi tu l’a connue bien après. Et je me doute de ce qu’elle a pu te raconter ! Non ? Elle ne t’a rien dit ? Vous ne parlez pas de ça quand vous vous voyez ? Tu sais, dans le fond, je m’en contrefiche maintenant, il faut pas croire que ça m’obsède, c’est loin tout ça…

Mais dis-moi, physiquement, elle est comment maintenant ? Est-ce qu’elle s’attife toujours aussi mal ? Non ? Ah, tu la trouves même élégante, les cheveux auburn ? C’est pas possible, je t’assure, j’ai du mal à le croire. Moi j’avais beau lui demander de faire un effort, de faire quelque chose à ses cheveux, je me souviens, je ne supportais plus cette couleur blond fadasse, elle me rigolait au nez. Je suis une femme disait-elle et je n’ai pas besoin de le prouver ! N’empêche, quelquefois, j’aurais bien aimé qu’elle me le prouve un peu plus…

Au fait, elle est toujours avec ce type ? Cet écossais, comment il s’appelle déjà, ah oui, Duncan, celui-là je me demande … C’est vrai, c’est une belle femme, t’es d’accord ? Alors, se mettre à la colle avec ce nabot, je ne comprendrai jamais comment elle a pu me laisser tomber pour un mec pareil … et en plus ça a l’air de durer. Oui je sais j’exagère ça faisait déjà trois ans qu’on était séparés ! Il n’y a pas que le physique, tu as raison. Tu penses même qu’elle est heureuse …

Et toi, toujours avec Myriam ? Bon, on ne s’ennuie pas mais il va falloir que j’y aille. Mais avant, je peux te demander un service ? Quand tu la reverras, pas la peine de lui dire qu’on a parlé d’elle, hein ! Je compte sur toi. Ciao, à la prochaine…

 

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